La cour nationale du droit d’asile, de l’autre côté de la barre
Article de presse
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Nous sommes plusieurs à avoir lu avec intérêt, presque avidité, la « vision du droit d’asile et de (son) expérience comme rapporteure à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) »1. Une vision du droit d’asile en cinq épisodes, écrit par Lou Mazer, rapporteure à la CNDA, un peu à la façon Point de vue, images du monde. Même si on a également eu droit à Closer. Je me contenterai d’une réponse 5 en 1.
La restitution se voudrait honnête et la conclusion du premier épisode nous prévient « Si je n’ai travaillé qu’à la CNDA et ne pourrai donc pas livrer un récit exhaustif du travail de ces autres acteurs que sont, par exemple, les avocats, les associations et l’OFPRA »2.
Mais surprise, le cinquième et dernier épisode parle de nous « les avocats attachés à leurs privilèges rendus possibles par la pratique de Cour. Tout ça aux dépens du demandeur d’asile ».
Les perles du prétoire : une accroche comme une autre
Dans l’épisode 5, intitulé « Cour nationale du droit d’asile : les avocats, maîtres de la Cour ? », l’une des révélations résulte dans le récit d’anecdotes prises, de préférence, chez les avocats3 dits incompétents. Quel scoop ! Oui, il existe de mauvais avocats.
Devrais-je céder à mon tour à la facilité, en dévoilant nos propres anecdotes ? J’aimerais répondre que les avocats ne rencontrent que des juges impartiaux, sans préjugés tant il est vrai qu’aucun juge n’a d’idées reçues ou qu’aucun n’a été épinglé pour ses tweets racistes. Je pense aussi à ce magistrat qui, à telle audience, nous apprenait qu’il connaissait bien le système médical guinéen car sa femme était pédiatre. Ou encore à celui qui, à une autre audience, nous racontait une sortie à la montagne pendant laquelle il avait appris à vêler une vache et pouvait donc demander au requérant comment naissait un veau. Et puis, le magistrat persuadé de connaître le système hydraulique parce que son fils…
Dois-je aussi raconter cet autre juge qui, pendant qu’une femme raconte son viol, se tourne vers l’assesseur pour lui dire « l’Albanie, c’est beau comme la Suisse » ? Et cette présidente qui se demande si le peul est une langue alors que je demandais le renvoi parce que l’interprète – guinéen certes – ne parlait pas le peul mais le malinke. Je passe les audiences où les rapporteurs ne savent pas dire les noms des villes ou même les noms de requérants démontrant en cela une méconnaissance du pays dont ils traitent.
Stop ! Fin de la récré !
Oui, des avocats incompétents se présentent à la cour nationale du droit d’asile. Certainement mais n’est-il pas plus intéressant d’analyser en quoi le système dysfonctionne (ce qui est abordé en partie par la rapporteure Lou Mazer dans ses cinq chroniques) ?
Peut-être sommes-nous mauvais parce que, ainsi que vous le reconnaissez, Mme. Mazer, il nous est laissé de moins en moins de temps pour exercer les recours, parce que les délais d’audiencement sont trop courts, parce que, surtout, aucun interprète n’est désigné au titre de l’aide juridictionnelle – revendication que nous ne cessons de porter – et qu’il est donc impossible de préparer l’audience avec un afghan, un russe, un peul… Impossibilité que nous arrivions, tant bien que mal, à contourner lorsqu’il n’était pas interdit aux interprètes de venir nous assister en salle des avocats. Il est vrai que ce n’était pas la solution idéale. Mais la défense devient, dans ce contexte, illusoire, et prive l’étranger d’un procès équitable au sens de la Cour européenne des droits de l’homme.
Si les avocats sont si incompétents, pourquoi se taire ? Par ce mutisme, vous devenez complices de notre soi-disant incompétence ! Informez le conseil de l’Ordre dont dépend l’avocat si celui-ci n’envoie que des recours sommaires, s’il ne vient pas aux audiences et s’il plaide contre l’intérêt du requérant, etc…
L’aide juridictionnelle et les avocats
Tout en décrivant une réalité, celle de l’aide juridictionnelle – sans erreur sur les montants ni les contraintes de temps – vous en concluez, Mme. Mazer, que « les avocats (sont) attachés à leurs privilèges rendus possibles par la pratique de Cour. Tout ça aux dépens du demandeur d’asile ».
J’avoue ne pas comprendre.
Un privilège est un « droit, avantage particulier accordé par une autorité, à une personne ou à un groupe, en dehors des règles communes ». Au pluriel, les privilèges sont des « droits, avantages matériels ou honorifiques, concédés à certaines personnes en raison de leur naissance, de leurs fonctions, de leur appartenance à certains corps (magistrature, clergé, corporations), ainsi qu’à certaines institutions, certaines villes ou provinces ». La magistrature semble plus concernée que l’avocature.
Outre que la demande de renvoi reste soumise au bon vouloir du président ou de la présidente4 de la juridiction, quelle qu’elle soit, les renvois ne sont pas l’apanage des avocats plaidant devant la Cour nationale du droit d’asile.
Bon nombre de renvois sont motivés par les dysfonctionnements de la Cour comme vous en témoignez vous-même : renvoi pour heure tardive (consécutif donc à un enrôlement mal évalué), renvoi pour convocation tardive (ce que vous expliquez d’ailleurs dans le deuxième épisode intitulé « La politique du chiffre à la CNDA »5) , renvoi pour défaut de réception des pièces envoyées par l’avocat, renvoi pour défaut d’interprète (pas assez d’interprètes qui ont des affaires dans différentes salles, ou erreur sur la langue).
Je ne vois pas, là, quelle pratique de la Cour a rendu possible des privilèges aux dépens du demandeur d’asile. Tous ces renvois sont subis par les requérants et par les avocats.
1 2e § du premier épisode « J’ai donc choisi de livrer ma vision du droit d’asile et de mon expérience comme rapporteure à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Je ne serai ni neutre ni manichéenne. Dans chaque ensemble, il y a des nuances dont je m’efforcerai de faire état. »
2 Dernière phrase du premier épisode « Si je n’ai travaillé qu’à la CNDA et ne pourrai donc pas livrer un récit exhaustif du travail de ces autres acteurs que sont, par exemple, les avocats, les associations et l’OFPRA »
3 « Pour citer des exemples relatifs à l’incompétence ou en tout cas au faible investissement de certains avocats »
4 Article R 733-24, 4e alinéa du CESEDA: « Le président de la formation de jugement statue sur les demandes de renvoi à une audience ultérieure présentées par les parties ».
5 « S’agissant du service central d’enrôlement, celui-ci transmet souvent tardivement les dossiers, retardant ainsi l’envoi des convocations pour les audiences, parfois même après la date légale (1 mois avant une audience collégiale et 15 jours avant une audience à juge unique) ».