Conférence de Marianne Lagrue
Asile et interprétariat

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Sur la présence de l’interprète à l’audience. L’article L. 733-1 modifié par la loi du 10 septembre 2018 pose pour principe la présence de l’interprète auprès du demandeur pour l’amender dans la phrase suivante : en cas de difficulté pour obtenir le concours d’un interprète auprès du demandeur, l’audience pourra tout de même se tenir dès lors qu’un interprète se trouve dans la même salle que celle où la Cour siège.

La pratique des vidéo-audiences va contraindre la CNDA à équiper ses propres salles et les salles du tribunal administratif. Deux tribunaux pilotes ont été retenus : Lyon et Nancy.

4. Contestation de la langue au moment du dépôt du recours (Ceseda, art. L. 733-5, art. L. 741-2-1, art. 10)
Marianne Lagrue (Elena)

art. L. 741-2-1 nouveau créé par la loi du 10 septembre 2018

Lors de l’enregistrement de sa demande d’asile, l’étranger est informé des langues dans lesquelles il peut être entendu lors de l’entretien personnel mené par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides en application de l’article L. 723-6. Il indique celle dans laquelle il préfère être entendu. Il est
informé que ce choix lui est opposable pendant toute la durée d’examen de sa demande, y compris en cas de recours devant la Cour nationale du droit d’asile, et que, à défaut de choix de sa part ou dans le cas où sa demande ne peut être satisfaite, il peut être entendu dans une langue dont il a une connaissance suffisante. Le présent article ne fait pas obstacle à ce que, à tout
instant, l’étranger puisse à sa demande être entendu en français.

La contestation du choix de la langue de procédure ne peut intervenir qu’à l’occasion du recours devant la Cour nationale du droit d’asile contre la décision de l’office, dans les conditions fixées à l’article L. 733-5. Les modalités d’application du présent article sont définies par décret en Conseil d’Etat. »

Article L. 733-5 nouveau
Saisie d’un recours contre une décision du directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, la Cour nationale du droit d’asile statue, en qualité de juge de plein contentieux, sur le droit du requérant à une protection au titre de l’asile au vu des circonstances de fait dont elle a connaissance au moment où elle se prononce.

La cour ne peut annuler une décision du directeur général de l’office et lui renvoyer l’examen de la demande d’asile que lorsqu’elle juge que l’office a pris cette décision sans procéder à un examen individuel de la demande ou en se dispensant, en dehors des cas prévus par la loi, d’un entretien personnel avec le
demandeur et qu’elle n’est pas en mesure de prendre immédiatement une décision positive sur la demande de protection au vu des éléments établis devant elle.

« Il en va de même lorsque la cour estime que le requérant a été dans l’impossibilité de se faire comprendre lors de l’entretien, faute d’avoir pu bénéficier du concours d’un interprète dans la langue qu’il a indiquée dans sa demande d’asile ou dans une autre langue dont il a une connaissance suffisante, et que ce défaut d’interprétariat est imputable à l’office. Le requérant ne peut se prévaloir de ce défaut d’interprétariat que dans le délai
de recours et doit indiquer la langue dans laquelle il souhaite être entendu en audience. Si la cour ne peut désigner un interprète dans la langue demandée, l’intéressé est entendu dans une langue dont il est raisonnable de penser qu’il la comprend. »

Sans préjudice du deuxième alinéa, le requérant ne peut utilement se prévaloir de l’enregistrement sonore de son entretien personnel qu’à l’appui d’une contestation présentée dans le délai de recours et portant sur une erreur de traduction ou un contresens, identifié de façon précise dans la transcription de l’entretien et de nature à exercer une influence déterminante sur l’appréciation du besoin de protection.

Article L. 723-6 nouveau
L’office convoque, par tout moyen garantissant la confidentialité et la réception personnelle par le demandeur, le demandeur à un entretien personnel. Il peut s’en dispenser s’il apparaît que :

1° L’office s’apprête à prendre une décision reconnaissant la qualité de réfugié à partir des éléments en sa possession ;

2° Des raisons médicales, durables et indépendantes de la volonté de l’intéressé interdisent de procéder à l’entretien.

Chaque demandeur majeur est entendu individuellement, hors de la présence des membres de sa famille. L’office peut entendre individuellement un demandeur mineur, dans les mêmes conditions, s’il estime raisonnable de penser qu’il aurait pu subir des persécutions ou des atteintes graves dont les membres de la famille n’auraient pas connaissance.

L’office peut procéder à un entretien complémentaire en présence des membres de la famille s’il l’estime nécessaire à l’examen approprié de la demande.

Le demandeur se présente à l’entretien et répond personnellement aux questions qui lui sont posées par l’agent de l’office. Il est entendu, dans les conditions prévues à l’article L. 741-2-1, dans la langue de son choix ou dans une autre langue dont il a une connaissance suffisante.

Si le demandeur en fait la demande et si cette dernière apparaît manifestement fondée par la difficulté pour le demandeur d’exposer l’ensemble des motifs de sa demande d’asile, notamment ceux liés à des violences à caractère sexuel, l’entretien est mené, dans la mesure du possible, par un agent de l’office du sexe de son choix et en présence d’un interprète du sexe de son choix.

Le demandeur peut se présenter à l’entretien accompagné soit d’un avocat, soit d’un représentant d’une association de défense des droits de l’homme, d’une association de défense des droits des étrangers ou des demandeurs d’asile, d’une association de défense des droits des femmes ou des enfants ou d’une association de lutte contre les persécutions fondées sur l’identité de genre ou l’orientation sexuelle. Les conditions d’habilitation des associations et les modalités d’agrément de leurs représentants par l’office sont fixées par décret en Conseil d’Etat ; peuvent seules être habilitées les associations indépendantes à l’égard des autorités des pays d’origine des demandeurs d’asile et apportant une aide à tous les demandeurs. L’avocat ou le représentant de l’association ne peut intervenir qu’à l’issue de l’entretien pour formuler des observations.

Lorsque cela est justifié pour le bon déroulement de l’entretien, le demandeur d’asile en situation de handicap peut, à sa demande et sur autorisation du directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, être accompagné par le professionnel de santé qui le suit habituellement ou par le représentant d’une association d’aide aux personnes en situation de handicap.

L’absence d’un avocat ou d’un représentant d’une association n’empêche pas l’office de mener un entretien avec le demandeur.

avocat droit des étrangers

Sans préjudice de l’article L. 723-13, l’absence sans motif légitime du demandeur, dûment convoqué à un entretien, ne fait pas obstacle à ce que l’office statue sur sa demande.

Sans préjudice des nécessités tenant aux besoins d’une action contentieuse, la personne qui accompagne le demandeur à un entretien ne peut en divulguer le contenu.

Les modalités d’organisation de l’entretien sont définies par le directeur général de l’office.

Un décret en Conseil d’Etat fixe les cas et les conditions dans lesquels l’entretien peut se dérouler par un moyen de communication audiovisuelle pour des raisons tenant à l’éloignement géographique ou à la situation particulière du demandeur.

L’article art. L. 741-2-1 ajouté par la loi du 10 septembre 2018 impose au réfugié demandeur d’asile de faire connaître la langue dans laquelle il désire être entendu dès l’enregistrement sur une liste limitative de langues.

On comprend à la lecture de l’avis du Conseil d’Etat rendu le 15 février 2018 que cette modification de l’article L. 741-2 du CESEDA est mue par la volonté de « remédier aux changements imprévus de langue de procédure en cours d’instruction de la demande, souvent effectués à titre dilatoire par des demandeurs d’asile de mauvaise foi » (point 27 page 7).

En réalité, il est très rare que les demandeurs d’asile décident d’être entendus dans une langue qu’ils ne maitrisent pas à l’OFPRA et/ou devant la Cour nationale du droit d’asile et ce, à des fins dilatoires.

Outre que le demandeur d’asile voudra, après un long parcours, faire enregistrer sa demande d’asile le plus rapidement possible, il ne sera pas dans la possibilité de contester le choix imposé.
Bien plus, cette langue prétendument choisie lui sera imposée tout au long de la procédure.

Cette modification a été voulue dans le souci constant de « réduire les délais » (page 50 de l’étude d’impact).

Seule « une contestation » demeurera possible au moment du recours devant la Cour nationale du droit d’asile.

La Cour voit augmenter les possibilités de renvoi pour examen devant l’OFPRA. En plus de ceux déjà en vigueur (absence d’examen individuel de la demande, absence d’entretien personnel hors cas prévus par la loi), la Cour pourra renvoyer en cas du défaut d’interprétariat imputable à l’office.

Toutefois, en application du nouvel alinéa 3 de l’article L. 733-5, la Cour devra renvoyer l’examen de l’affaire à l’OFPRA à la double condition 1. que le requérant n’ait pu « bénéficier du concours d’un interprète dans la langue qu’il a indiquée dans sa demande d’asile ou dans une autre langue dont il a une connaissance suffisante, 2. ce défaut d’interprétariat soit imputable à l’office.

Au surplus, même si les deux conditions sont remplies, « si la cour ne peut désigner un interprète dans la langue demandée, l’intéressé est entendu dans une langue dont il est raisonnable de penser qu’il la comprend. »

Les exigences de maîtrise de la langue varient ainsi au gré des rédactions des articles L. 723-6, L. 733-5 et L. 742-2-1.

• Langue dont l’étranger a une connaissance suffisante (art. L. 723-6, 6è alinéa, art. L. 733-5, 3è alinéa et art. L. 741-2-1)
• Langue de son choix (article L. 723-6, 6è alinéa)
• Langue indiquée dans sa demande d’asile (art. L. 733-5, 3è alinéa)
• Langue dans laquelle le requérant souhaite être entendu (art. L. 733-5, 3è alinéa)
• Langue dont il est raisonnable de penser que l’intéressé la comprend (art. L. 733-5, 3è alinéa)
• Langue dans laquelle l’étranger préfère être entendu parmi les langues imposées lors de l’enregistrement (art L. 741-2-1)

Il est permis de penser que la langue dans laquelle le requérant souhaite être entendu est sa langue maternelle qui ne correspondra pas toujours à la langue qu’il préfère parmi celles figurant dans la liste.

De même, la langue indiquée dans sa demande d’asile devrait être sa langue maternelle ou celle de son choix.

SURTOUT, la Cour aura toujours la possibilité de choisir la langue grâce à la grande ouverture laissée par l’article L. 733-5, 3è alinéa selon lequel « si la cour ne peut désigner un interprète dans la langue demandée, l’intéressé est entendu dans une langue dont il est raisonnable de penser qu’il la comprend ».

Cette dernière formulation – plus conforme à l’article 12 a) f de la directive « procédures »1 qui prévoit un droit à l’information du demandeur d’asile « dans une langue qu’il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprenne» – apparaît toutefois plus avantageuse que « l’autre langue dont l’étranger a une connaissance suffisante ».

Le caractère flou de la notion de « connaissance suffisante » d’une langue ne garantit en rien un entretien au cours duquel le demandeur doit « répondre personnellement aux questions qui lui sont posées par l’agent de l’office », en application de l’article L. 723-6.

Cette nouvelle formulation pose à la question de savoir qui aura la compétence pour apprécier la connaissance suffisante de cette langue.

Ni les agents des préfectures, premiers représentants de l’Etat à recevoir les demandeurs d’asile en France, ni les officiers de protection, ne sont compétents pour se prononcer sur les compétences linguistiques des demandeurs d’asile dans les langues parlées dans leurs pays d’origine.