Le grand oral des demandeurs d’asile

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Dans ses locaux modernes et fonctionnels en Seine-Saint-Denis, la Cour nationale du droit d’asile reçoit chaque année des milliers d’étrangers qui cherchent refuge en France et teste la fiabilité de leurs récits.

Par Julia Pascual.

« Vous avez imaginé ces choses, ou bien vous les avez vraiment vécues ? » Les pieds d’Aslan – tous les prénoms des demandeurs d’asile ont été modifiés – s’agitent sous sa chaise. Il n’aura pas d’autre occasion de convaincre les trois juges en costume, assis face à lui, qu’il risque sa vie s’il retourne en Tchétchénie. Devant la question du magistrat, il reprend ses explications, laborieusement. Il parle de son cousin abattu par des dignitaires du régime, au début des années 2000. Avant de mourir, celui-ci aurait eu le temps de l’appeler pour dénoncer ses meurtriers. Une confidence qui vaudrait à cet homme de 32 ans d’être aujourd’hui menacé dans son pays.

Si le statut de réfugié ne lui est pas accordé à l’issue de son audience devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), il se retrouvera sans titre de séjour et risquera, avec sa femme et ses quatre enfants, une expulsion. Les juges reviennent sur les arrestations qu’il dit avoir subies. « Vous indiquez que la milice vous conduit dans un commissariat en 2019. Lequel ? Où est-il situé exactement ? Comment ça se passe ? Vous y restez combien de temps ? » Les questions sont autant de coups de canif dans le récit fragile du jeune homme. Il ne sait plus combien de jours a duré son calvaire, assure avoir perdu connaissance à force d’être frappé et s’être réveillé à l’hôpital.

Son avocate tente de lui venir en aide. « Il a été soulevé des imprécisions et des incohérences. Tous les détails n’ont pas été donnés sur tel ou tel élément de torture, concède-t-elle. Mais on sait que le stress posttraumatique peut amener à des troubles de mémoire, des difficultés à s’exprimer. » Elle évoque son traitement médicamenteux, la cicatrice d’une brûlure de cigarette ou encore le ris que de conscription militaire pour son client. La décision sera mise en délibéré.

Quelques instants plus tard, devant les mêmes juges, Aboubacar, un Malien de la région de Kayes, cherche à convaincre qu’il a fui l’esclavage. Sa famille, asservie par des « nobles », aurait notamment été contrainte de céder ses récoltes de mangues. D’après lui, ce conflit a provoqué un drame : ses chiens ont attaqué et tué un de ses maîtres, ce qui l’aurait contraint à s’exiler. En représailles, sa mère et trois de ses frères auraient été abattus.

D’emblée, les juges soulèvent des points de faiblesse : « Vous nous dites que votre père et votre grand-père ont pu échapper à la condition d’esclave. Qu’est-ce qui fait que vous ne pourriez pas ? », demande le président. « Quand on est là-dedans, on n’a pas le choix », répète Aboubacar à son auditoire, circonspect. « Monsieur ne sait ni lire ni écrire, intervient son avocate. Il y a un certain nombre de choses qu’il n’a pas précisées. Il dormait sur des tapis de feuilles mortes, dans une petite case. C’était l’homme à tout faire. La famille est décimée, il ne peut pas retourner au Mali. » A côté d’elle, son client pleure.

Sans transition, la cour se penche aussitôt sur le cas de Fatimata, une Mauritanienne de 42 ans. Mariée de force à 14 ans, divorcée et mère de cinq enfants, elle aurait fui les discriminations infligées par les autorités du pays aux minorités noires. Empêchées notamment de se faire recenser, celles-ci sont de fait privées d’existence légale. « Je ne peux pas voyager, ouvrir un compte bancaire, ni même travailler, énumère Fatimata. Même mes enfants n’ont pas pu aller à l’école. » Elle évoque aussi les menaces de ses oncles, qui lui reprochent d’avoir été serveuse dans un bar de Nouakchott soupçonné d’abriter de la prostitution. « Mon père a toujours voulu
qu’on soit comme des religieux, mais moi, j’ai voulu être libre », revendique-t-elle.

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